HISTORIQUE DE L'ORCHESTRE COLONNE



HISTORIQUE DE L'ORCHESTRE COLONNE par Sébastien Bouvier

Le dimanche 2 mars 1873, sous l'impulsion du jeune éditeur parisien Georges Hartmann et du chef d'orchestre Edouard Colonne eut lieu le premier Concert National qui deviendra vingt ans plus tard l'Association artistique des Concerts Colonne. La création de cet orchestre répondait à la ferme volonté de l'éditeur de musique du boulevard de la Madeleine de faire exécuter les oeuvres de ses amis compositeurs, Georges Bizet, César Franck, Léo Delibes et Ernest Guiraud. Pour diriger son premier concert au Théâtre de l'Odéon, il fit appel au chef d'orchestre Edouard Colonne qui venait de faire des débuts très remarqués aux concerts organisés par Jules Danbé dans la salle du Grand-Hôtel. Dès la première représentation, le succès fut immédiat car le jeune orchestre se démarquait par une programmation originale; au travers des huit concerts donnés au cours de la saison, on peut remarquer de nombreuses créations (la Rédemption de César Franck, Marie-Magdeleine de Jules Massenet ou encore le Concerto pour violoncelle de Camille Saint-Saëns) encadrées par des pièces plus classiques, les Symphonies de Haydn, de Mozart, de Beethoven, ou plus modernes, telles que la Marche Hongroise de Berlioz ou le Concerto pour violon de Mendelssohn. Ainsi le but recherché par les organisateurs était-il particulièrement distinct; il s'agissait de rendre populaire la musique française et étrangère tout en facilitant l'accès aux oeuvres contemporaines. En outre, cette production personnelle fut marquée du sceau des plus grands interprètes de l'époque : le violoniste Sarasate, la cantatrice Pauline Viardot ou le pianiste Alfred Jaëll. A partir de cette empreinte de qualité, l'orchestre pouvait présager d'un bel avenir. Malheureusement, pour avoir fixé trop bas le prix des places, la première saison fut un véritable échec financier. L'orchestre put renaître sous la forme d'une association le 9 novembre 1873 grâce à la munificence de Mme Erard. Les Concerts du Châtelet ainsi créés adoptèrent le nom de Concerts Colonne à partir du 15 avril 1892.

A l'aube de son trentième anniversaire, l'association dressa un premier bilan : les partitions de plus de 300 compositeurs avaient été présentées au public sous la baguette d'une trentaine de chefs d'orchestre français et étrangers dont Félix Mottl, Richard Strauss ou Vincent d'Indy. Aujourd'hui, les 120 ans d'histoire n'ont fait que renforcer la qualité et l'image de l'orchestre. Après Edouard Colonne (1873-1909) la présidence et la direction de l'association fut confiée à Gabriel Pierné (1909-1932), Paul Paray (1932-1956), Charles Munch (1956-1958), Pierre Dervaux (1958-1992) et Antonello Allemandi (depuis 1992). A l'archet de Sarasate et à la voix de Pauline Viardot a répondu la virtuosité des plus grands artistes de notre temps : Lucia Aliberti, José van Dam, Guy Deplus, Yehudi Menuhin et Jean-Claude Pennetier, pour n'en citer que quelques-uns.

Au cours des deux guerres, l'orchestre n'a pas failli à sa mission. En fusionnant avec les musiciens des Concerts Lamoureux, l'association put poursuivre son activité pendant les évènements et conserver une place prépondérante dans la vie musicale de la capitale.

Fort de son passé glorieux, l'Orchestre Colonne se dirige vers un avenir prometteur. Avec une moyenne d'âge de 28 ans, l'association artistique la plus ancienne de Paris est également aujourd'hui l'une des plus jeunes. Chaque année, elle accueille sur concours des élèves diplômés des conservatoires soucieux de parfaire leur métier au sein d'un orchestre de haut rang. Ce phénomène permet le renouvellement progressif de l'orchestre et favorise l'émulation entre les musiciens.

Le Chœur de l'Orchestre Colonne, créé en septembre 1981 par Jean Sourisse, est actuellement dirigé par Patrick Marco. La création de cet ensemble permanent de 110 choristes a donné un nouvel élan à l'association en permettant la production de grands ouvrages du répertoire lyrique. C'est ainsi que la Création de Joseph Haydn, le Gloria de Francis Poulenc, les Sirènes de Claude Debussy, les 4 Pièces Sacrées de Giuseppe Verdi ont pu être présentées au public. En 1986, cet ensemble obtint le Grand Prix par l'Académie Nationale du Disque Lyrique en réalisant l'enregistrement du Requiem de Maurice Duruflé.

En assurant depuis maintenant plus de 50 ans des concerts éducatifs pour les jeunes, Colonne poursuit un rôle formateur. Ces concerts dominicaux offrent souvent une première expérience musicale au jeune public qui formera l'auditoire de demain. Ainsi les oeuvres présentées sont-elles choisies pour leur caractère pédagogique et sont largement commentées par les meilleurs critiques musicaux.

Née au début du siècle, la discographie de l'orchestre est aujourd'hui fort complète. D'Ibéria d'Albeniz à l'Oiseau de feu de Stravinsky en passant par les chefs-d'œuvres de Dukas, Bizet, Lalo et Ravel, elle se constitue de plus d'une centaine de titres qui sont autant de modèles d'interprétation dans la plus pure tradition française. Parmi les enregistrements les plus récents, il faudra sans doute retenir le Requiem de Maurice Duruflé avec Teresa Berganza et José Van Dam sous la direction de Michel Corboz ou la Messe de l'Aurore de Marcel Landowski. Cette production discographique conséquente témoigne du rôle essentiel que joue cet ensemble pour la préservation du répertoire.

Ainsi, tout en demeurant un acteur essentiel de la vie musicale, l'orchestre, par son héritage plus que centenaire, fait-il désormais partie de notre patrimoine culturel. Cependant, malgré les subventions de l'Etat et de la Ville de Paris, le budget de l'orchestre est environ cent fois inférieur à celui des autres grandes formations et Colonne doit en grande partie son existence à l'assiduité du public. Géré depuis le 13 janvier 1983 par un système juridique de coopérative, l'orchestre tire ses bénéfices de la fréquentation des concerts. Ses recettes représentent alors 65 % du budget. Cette gestion participative, quasi-unique en France mais à l'image des orchestres londoniens ou viennois suppose chez les musiciens un enthousiasme constant.

Après plus d'un siècle d'existence, l'orchestre peut s'enorgueillir à la fois de son savoir-faire et de son dynamisme. Au travers de la variété de ses programmes nous pouvons apprécier les chefs-d'œuvre du passé et les créations d'aujourd'hui. Parce qu'elle est mue par une passion sans égale, l'Association Artistique des Concerts Colonne tient une place unique dans la vie musicale parisienne. Son identité qui fut magnifiquement traduite par ces mots de Julien Torchet est toujours d'actualité : "Chez Colonne, le marbre s'est fait chair, le sang circule ardent et chaud dans les veines, le coeur palpite, la statue s'est animée, elle se meut, et, nouvelle Galatée, elle a nos passions, elle souffre, elle aime, elle est vivante, enfin."

Sébastien Bouvier, septembre 1994.

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