E crits

 

Auteur : Christine VALLIN, professeur d'éducation musicale au Collège de Chauffailles. (Pour écrire à l'auteur de ce document consultez la liste d'E-mail).


 Au jeu des chaises musicales :
Tombée par terre, c'est la faute à ?, Entre deux chaises, A ma place

 Musique et Culture - Cultures et Musiques :
Du parcours du prof, Aux résistances des élèves, Du naturel au culturel, Du culturel au naturel.


 

Au jeu des chaises musicales

  D'une classe à l'autre. Les groupes vont se succéder, toutes les classes, tant de visages ; vite, trop vite. Ils vont entrer en cours de musique avec la représentation qu'ils en ont, dans cette parenthèse hebdomadaire où se côtoient leurs attentes : détente, ennui, plaisir ; obligation quoi qu'il en soit. Il va falloir que je fasse avec ou que je fasse contre. Ensemble, nous allons entrer dans la ronde, dans la ronde du jeu des chaises musicales

La bande-son démarre et défile avec elle un apparent théâtre de l'absurde :  

' Prenez vos cahiers',

' Dies irae, dies illa'

' La noire dure un temps'

' De toute façon, je n'y arriverai jamais'

' Y'a d'la joie'

' Si si la sol'

' The show must go on'

' Pourquoi on est obligé de faire de la musique ?'

' Moi, ça me fait penser à'

' MC Solaar !'

' Les garçons, plus fort'

' Quand le jazz est, quand le jazz est là'

' Mais, Nicolas, tu n'as pas encore sorti ton cahier ? !'

  Stop, STOP ! Quand la musique s'arrête, le silence parle.

 

  • Tombée par terre, c'est la faute à ?

      Mea culpa, mes chers collègues. Dans ce ballet incessant où se mêlent l'énergie vigoureuse de centaines d'adolescents et le concert ' crispant ' de vingt-cinq flûtistes débutants, il m'arrive de céder à la tentation de trouver plus verte l'herbe de la classe voisine... Je me prends alors à rêver de contempler avec attendrissement les nuques penchées sur des feuilles noircies. C'est si beau, un bébé qui dort. Il m'arrive même de souhaiter être prof de maths, ou de français, rêvant (bien naïvement !) d'une reconnaissance implicite de ma matière pour ne plus avoir à prouver son importance aux yeux des élèves et des parents, à déployer des efforts d'imagination pour la ' faire passer ' en cours, pour y croire toujours moi-même.

     

  • Entre deux chaises

      Parfois, je me retrouve là, doutant, ne sachant plus... comment présenter le répertoire imposé, plus généralement respecter l'obligation qui m'est donnée d'ouvrir ' leurs oreilles ' et leur réflexion à l'architecture musicale complexe et si riche de Bach, sans renier ni décrédibiliser la poésie d'MC Solaar ou le répétitif presque hypnotique de la musique techno.
    Qu'il est difficile de concilier la culture-tradition avec la culture, les attentes musicales des élèves ! Où sont ces improbables mais si nécessaires passerelles entre deux mondes dont chacun se sent le maître, que chacun se croit investi à défendre.
    Difficile aussi de rappeler la réalité show-business sans casser les rêves de ces garçons ou filles passionnés par le chant,portés par un espoir un peu fou mais certainement pas insignifiant. Ramener leur désir à la réalité, ce sera simplement pour moi guider leur créativité, les laisser s'étonner de leur imagination, les aider à aller au bout d'un texte mis en musique ; leur texte, leur musique, leurs possibles dont ils se retrouveront détenteurs.
    Quant à leur rêve de ' Graine de Star ', il ne verra sans doute jamais le jour.
    Faut-il cependant casser ce miroir aux alouettes dans lequel ils mirent une vie luxueusement facile. N'a-t-on pas tous besoin à un moment ou à un autre de croire au magicien avant d'accepter et de prendre la réalité en main ?
    Pas facile non plus de concilier mes valeurs toutes simples d'éthique relationnelle visant à ne jamais blesser les élèves, avec les heures qui s'accumulent et la fatigue qui amoindrit ma patience, avec mes petites lâchetés, celle de céder au plaisir d'un bon mot pourtant vexatoire, celle de juger hâtivement.
    Si difficile aussi de conjuguer au présent ' parfait ' l'exigence dans l'apprentissage en n'ignorant pas Nicolas dont le cahier reste aussi obstinément fermé que le regard, en ne négligeant pas Jérôme, quatre ans d'étude de trompette derrière lui et qui baillerait volontiers s'il était moins poli, en n'oubliant pas Amélie qui ne cesse de répéter que ' pour une fois ' elle a bien travaillé son morceau.
    Je suis prête à dire haut et fort à qui veut ou ne veut pas l'entendre que tous les élèves méritent cette heure de musique, seul accès pour 90% d'entre eux à un brin de pratique musicale.
    Et pourtant, me voilà vite dépassée lorsqu'il s'agit de mettre en actes ces belles théories. Et où trouver la même ténacité, la même présence engagée et engageante, comment me sentir ' dominante ' même le jour, l'heure, où j'aurais besoin de me laisser porter, materner ' Renoncer à la perfection, c'est aussi renoncer sereinement à l'illusion de tout maîtriser : cette sagesse me paraît encore bien lointaine.

     

  • A ma place

      Pourtant, souvent, je trouve ma place dans la ronde. Entre vie dans la classe et vie à l'extérieur, le lien est aisé, vivifiant.
    Depuis les programmes souples laissant la place au coup de coeur musical, au concert où profs et élèves mêlent derrière le rideau un trac similaire, jusqu'à l'intervention enrichissante de professionnels de la musique, jamais en dix ans je crois ne m'être ennuyée.
    Epuisée si, souvent. Mais pas ennuyée' Musicienne ' amateur ' pour le meilleur et pour le pire, je n'ai jamais connu non plus la frustration que peuvent (j'imagine') ressentir certains spécialistes.
    Le cours d'éducation musicale n'est pas une fin pour moi. Il trouve une seconde vie lorsqu'il aide à l'épanouissement, l'évasion, la création, l'ouverture, la prise de confiance en soi et de conscience de soi, représentant en cela un moyen parmi d'autres que j'aime aussi vivre et faire vivre.

    Enseigner la musique ne m'interdit pas, voire m'aide, aux détours buissonniers vers le partage d'idées ou de ressentis, vers la parole des élèves ou leur prise d'autonomie dans d'autres situations et lieux que ceux de ma classe.
    Oui, je me sens bien dans ce petit collège rural où je fus un jour élève. Je connais leurs grands frères et grandes soeurs, parfois leurs parents, il m'arrive de partager leurs loisirs, de les croiser pendant mes courses.

    Bref, ce qui peut paraître d'un autre temps existe encore, allié au luxe de pouvoir ouvrir sa fenêtre le soir sur un silence réparateur. J'espère même que ce n'est pas si rare'     ' Remonte sur ton trapèze. toujours entre deux chaises.
    Remonte sur ton trapèze, d'en haut tout est plus rose ' chantait Nino Ferrer : sciences de l'éducation, écriture, regard sur une pratique, tout me paraît bon pour grimper sur ce trapèze. Je ne suis pas sûre que le quotidien paraisse plus rose vu d'en haut, il se contente plutôt d'apparaître, offre parfois l'impression fugitive de se laisser comprendre en se donnant à voir.
    Et la complexité, la richesse qui surgissent ne peuvent qu'inciter à rester modestement éveillé, à devenir ce vigile qui doit agir lorsqu'il le peut, qui peut agir pour Etre.

    Christine Vallin
    Collège de Chauffailles
    christine


    Musique et Culture Cultures et musiques

      France, Inter, NRJ, Nostalgie, France Culture, Skyrock, France Musique : alors que défilaient sur mon auto-radio ces grandes stations, quelques bribes entendues me rappelaient combien chacune d'elles faisait référence à des univers culturels différents, voire opposés.
    Difficile de parler là de culture générale au sens où la définit Anne-Marie Drouin-Hans Référence à compléter :
    ' Ce qui est commun aux hommes, ce qui les relie entre eux '.
    On est plutôt dans ce qu'elle nomme ' faits culturels s'organisant en unités autonomes qui invitent à désigner comme culture (?) les pratiques, productions, représentations, aspirations d'un groupe particulier qui se voit alors identifié par sa différence aux autres. '. ' Dis-moi quelle radio tu écoutes et je te dirai qui tu es. '.
    Derrière le cours d'Education Musicale, c'est plus précisément un ' Dis-moi quelle musique tu écoutes et je te dirai qui tu es et par là même qui tu n'es pas, qui tu ne veux pas être. '. C'est sans doute pour cette raison que par un effet quasi mécanique en prenant pour la première fois la casquette de prof, du haut de mes vingt-trois ans, j'ai eu aussi l'impression de prendre trente ans de plus : ' T'es pas de ma bande ' disait Renaud.
    J'étais entrée dans le monde des vieux et ses musiques de vieux, les ' musiques à papa ', avec devant moi un public de jeunes prêt à défendre une ' culture jeune '. Comment, dans ce décor trop bien, trop vite planté, éviter alors l'affrontement sans nier le besoin des adolescents pour une reconnaissance identitaire, sans renoncer non plus à une ouverture culturelle, vecteur d'intégration, dans laquelle ils pourraient ou pourront se reconnaître : parcours nécessairement accompagné, parcours dans lequel chacun aura à faire un bout de chemin'  

  • Du parcours du prof

    Je crois pouvoir dire qu'aucun professeur d'Education Musicale ne peut aujourd'hui faire l'économie d'un véritable remue-méninges pour trouver des passerelles.
    Cela commence pour moi par un pas en direction de la musique des élèves.
    J'en veux pour preuve le congrès organisé il y a trois ans par l'APEMu Association Nationale des Professeurs d'Education Musicale, congrès sur les musiques émergentes des trente dernières années.
    Ce fut l'occasion (la première pour moi, je l'avoue) de découvrir par exemple la musique techno : vision insolite d'une docte assemblée (parmi laquelle se trouvaient sans doute plus d'amateurs de baroque ou d'art lyrique que d'habitués de rave parties !) écoutant, sagement assise, une composition de Laurent Garnier.
    Que se passe-t-il quand un jeune chargé de cours de l'Université de Provence (si, si) assisté d'un DJ compositeur de musique électronique (si, si) vous ont montré les apparitions, empilements et disparitions des différents éléments rythmiques et mélodiques, à grand renfort de décibels (cela fait partie du jeu) ' Eh bien, vous vous surprenez à y trouver un autre intérêt, voir plus si affinités. Je me sens dorénavant à l'aise pour en parler, pour en faire écouter en classe, avec prolongement vers la musique répétitive classée ' savante ' de Terry Riley et Phil Glass ou la musique électroacoustique de Pierre Schaeffer et Pierre Henry.
    Bien sûr, cette démarche prend du temps, sortir de ses habitudes d'écoute représente un effort, le même finalement que celui que nous demandons à nos élèves.

     

  • Aux résistances des élèves

      A discuter avec certains collègues, le chemin qui mènera l'adolescent à accepter d'autres musiques que les siennes semble complètement obstrué : autres conditions de travail que les miennes, heureusement pour moi.
    Et pourtant, même ici, les embûches sont multiples. D'abord parce que, bien modestement, notre heure hebdomadaire aura du mal à tirer son épingle du jeu : elle trouve, en la présence des médias, un rude concurrent. Le lourd poids médiatique fonctionne par cet effet de répétition qui, à notre insu parfois, nous rend familier puis agréable une musique : commerce ou culture ' Le débat est lancé.

    Quoi qu'il en soit, ce creuset sera à la base d'une norme musicale autour de laquelle les adolescents se retrouveront, à une grande majorité. Il me semble important de ne pas la nier, ni la rejeter, simplement de la reconnaître. Et si les élèves pouvaient également accepter l'idée de ne pas s'y enfermer, de concevoir que cette identité est provisoire et qu'ils brûleront peut-être demain leur idoles d'aujourd'hui ' Mais il faut avoir de bonnes raisons pour rompre ses habitudes culturelles. L'art s'adresse certes à ' l'un ' dans ce qu'il a de plus intime, mais il trouve une autre et puissante raison d'être dans sa fonction sociale sur fond ' d'habitus ' culturel selon le terme de Bourdieu : plaisir partagé de ' recréer ' la musique en l'écoutant ensemble, en en parlant, avec enthousiasme ou aversion, en la vivant à travers son corps. Et c'est bien là que le bât blesse... Je me souviens de ma première rencontre avec la musique dite classique. Il s'agissait de la ' Symphonie du Nouveau Monde ' de Dvorak, offerte par une copine pour mes quatorze ans. Avoir franchi cette ' porte étroite ' me laissait un délicieux sentiment d'être différente, unique, mais un sentiment teinté d'une certaine culpabilité, celle de renier mes origines et mes amis.
    Alliés à la peur de ' passer pour ' et de me retrouver rejetée du groupe, toutes ces raisons ont fait que j'ai très peu parlé de mes goûts hors normes avant la faculté de musicologie' Alors, lorsque, parfois, à la fin du cours un élève m'apporte discrètement une cassette en me demandant d'une voix ténue de lui enregistrer Haendel ou Mahler, ce sont Dvorak et mes quatorze ans qui me donnent envie de sourire, pas la raillerie. Oui, à quoi bon de nouvelles références musicales si on ne peut les partager entre copains, cette famille de substitution si importante à l'adolescence ' Elles s'appréhenderont à treize ou quatorze ans davantage comme un facteur dangereux de marginalisation, seront refusées généralement, catégorisées ' musique de vieux ' comme je l'entends souvent dire.
    Est-ce que ce ne sont pas les mêmes qui, devenus adultes, parleront ensuite de ' Grande Musique ' avec le même ton de refus dédaigneux ou d'indignité dans la voix : musique inaccessible ' Définitivement ' Comment rendre désirable le refusé, pour plagier Bourdieu encore. 

  • Du naturel au culturel

      Les professeurs d'Education Musicale se transforment souvent en chasseurs, traquant dans les tam tams modernes la mélodie de Pachelbel reprise dans telle chanson de rap, celle de Beethoven entendue dans un morceau techno, le raï, porte ouverte sur les musiques du monde ou l'extrait de Chostakovitch utilisée dans une publicité.

    On peut certes ressentir un petit pincement au coeur en pensant que le plus prestigieux de la culture musicale est véhiculé pour vendre du saucisson ou des produits ménagers'
    On peut alors reprocher aux enseignants d'utiliser les mêmes vils subterfuges pour appâter une clientèle récalcitrante. Mais exploiter le pouvoir des médias ne revient-il pas à le relativiser, à le ' remettre à sa place ' en rebondissant dessus pour le dépasser : là où les élèves ne voyaient plus que des pâtes, on peut réintroduire un Don Juan mozartien tragique et tentateur.

    En dehors de cela, parfois un petit rien suffit à créer la familiarité : un tempo rapide, un support visuel (papier ou ordinateur) pour fixer une mélodie ou une architecture musicale, un rythme vigoureux, un texte proche des préoccupations des élèves, qu'il s'agisse de l'amour, de la mort ou de la violence. Dans tous ces cas, on choisira donc de partir de leur ' connu ', d'utiliser une imprégnation naturelle pour ensuite surprendre. Toujours dans cette optique, je demande leur implication aux élèves.
    Un responsable par classe gère un planning de présentation de morceaux (traduisez chansons') que des volontaires souhaitent faire écouter. Il est demandé à tous d'écrire en cinq minutes ce qu'ils aiment et n'aiment pas dans ce qui leur est proposé. Mon objectif est d'abord de les encourager à sortir des ' c'est nul ' ou ' c'est génial ' habituels en provoquant une démarche réflexive, une reprise en main de ce qu'ils écoutent : ' Est-ce la voix, les paroles, les sonorités etc. qui me plaisent ?.
    Là où il y avait consommation, global et sensation, j'aimerais que, parfois, les mots permettent de se réapproprier l'écoute, d'avancer dans la finesse et l'esprit critique.
    Objectif ambitieux, voire irréaliste : beaucoup n'aiment pas cet effort imposé. S'ils apprécient grandement de voir entrer ' leur ' musique dans la classe, peut-être ont-ils l'impression de s'en trouver dépossédés lorsque l'école tente de s'y immiscer. Alors, parfois, là où j'aurais souhaité cinq minutes d'éducation, il y aura cinq minutes de plaisir immédiat, complice. Ce n'est déjà pas si mal' Mais cette démarche ne peut avoir lieu que dans un contexte de respect des goûts et des idées d'autrui : je m'y engage personnellement et leur demande le même engagement. Mais demander ne suffit pas toujours.

    Certains élèves sont de véritables spécialistes du rap, de hard-rock ou du répertoire NRJ-Skyrock.
    Il arrive que l'on ne soit pas loin du conflit, du rejet en bloc d'un autre style que le leur. Est-ce pour cette raison que peu osent sortir d'un tacite répertoire commun ' passe-partout ' que je retrouve dans toutes les classes ? Fragilisant, paralysant regard de l'autre ?  

  • Du culturel au naturel

      Et en dehors de la classe ' Parfois il m'arrive de faire un véritable constat d'échec en observant le public des concerts, ' classiques ' ou jazz, (je reconnais que je fais l'impasse sur le reste) offerts dans notre région rurale mais pas déserte culturellement. La moyenne d'âge y est toujours bien élevée !
    Même constat dans les spectacles organisés par et pour les élèves du collège : il faut batailler rudement pour les engager à y participer ou même y assister. C'est approximativement 10% de la population qui se déplace régulièrement en concert semble-t-il; parmi eux combien d'adolescents.

    La tâche apparaît dans toute son ampleur : il faudra bien de la ténacité aux enseignants pour donner l'envie de la musique en direct, un effort de la part des musiciens professionnels pour la désacraliser encore davantage et une coopération de tous pour que des expériences comme celle menée par Jean-Claude Casadesus et l'orchestre de Lille (entre autres) fleurissent partout.
    Et demain, ce que j'aimerais transmettre ferait tomber toutes les barrières culturelles : qu'un jour les élèves devenus adultes puissent connaître le plaisir de balayer du regard une rangée de CD's, véritable danse autour des siècles, des styles et des pays et pouvoir y choisir celui qui conviendrait à leur désir, à leur humeur du moment.
    Parce qu'au-delà de la Culture musicale, c'est dans la multiplicité de ses facettes que la musique trouve tout son sens : musique pour rêver, pour danser, penser ou consoler, musique qui soulage, enivre, emplit ou apaise. Autant de respirations pour accompagner les plus petites tâches quotidiennes comme les grands moments de bonheur ; de douleur aussi.